A l'heure des doutes existentiels, il peut être secours de l'âme que de se (re)plonger dans les classiques, voire les antiques. L'alignement des desseins individuels et des devenirs collectifs est une question multimillénaire mais deux philosophes occupent une place singulière dans l'éclairage des modèles d'affaires. Dans Politique et Ethique à Nicomaque, Aristote analyse la nature des échanges et le rôle de la monnaie. Il distingue ainsi l'Economique de la Chrématistique. La première notion désigne l'administration de la maison. Elle est vertueuse, équilibrée et juste. La seconde qualifie l'art d'accumuler des richesses sans limite en spéculant et en détournant la monnaie de sa neutralité. Elle est contre nature et source d'injustice. Deux millénaires plus tard, Adam Smith démontre incontestablement l'alignement par la main invisible, ouvrant la voie à deux cent cinquante ans de libéralisme : il ne peut exister de meilleure solution que de permettre à chacun d'optimiser son utilité. La sélection naturelle des compétiteurs est impitoyable et érige la Chrématistique au rang de vertu cardinale. Plusieurs révolutions industrielles et dix fois plus d'êtres humains plus tard i , la main invisible peine de plus en plus à jouer son rôle et les symptômes de son arthrose sont innombrables. Il apparait dès lors comme une responsabilité individuelle et collective que de dénoncer la Chrématistique dans nos universités et écoles afin de la chasser des modèles d'affaires et de (re)trouver enfin l'Economique, entendant ainsi les attentes exprimées de plus en plus bruyamment par nos étudiants ii. i On peut estimer la population mondiale à environ 800 millions d'êtres humains lors de la parution de « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » en 1776. ii Lors, par exemple, de cérémonies de diplômes en 2022 à Polytechnique, Sciences Po, Centrale Nantes ou AgroParisTech.